Dernier tour dans la salle d’armes

Par Vincent Fontana

Dans le cadre du chantier de restauration du château et de la refonte de l’exposition permanente, l’équipe scientifique du Musée d’Yverdon et région a entamé le démontage complexe de l’ancienne salle d’armes du château, inaugurée à la fin des années 1960 par le célèbre archéologue Michel Egloff.

Située à l’étage principal de la grande tour (ou donjon), la salle d’armes a longtemps constitué le clou de la visite du musée. Les installations muséographiques sont aujourd’hui devenues aussi archaïques que néfastes pour la conservation des collections. L’espace évoque pourtant tout un pan de l’histoire de l’institution.  La dernière restauration de l’infrastructure de ce donjon du 13e siècle date en effet de 1959-1960, notamment la réfection du pont-levis donnant accès à la courtine sud du château (Journal d’Yverdon, 11 mai 1960). L’installation de la salle d’armes à l’étage principal de la tour, au pied des vestiges d’une cheminée datant des années 1260, relève quant à elle de l’initiative de Michel Egloff (1941-2021), conservateur des collections d’histoire et d’archéologie du Musée du vieil Yverdon entre 1966 et 1970.

Otto Schmidt, plan de coupe de la grande tour, 1913 © AFMH

Cette éminente figure de l’archéologie neuchâteloise, à la fois archéologue cantonal, fondateur du Laténium et professeur à l’Université de Neuchâtel, cède alors à une tradition muséographique très en vogue en Suisse depuis le 19e siècle pour édifier l’histoire nationale et son important patrimoine militaire. Au milieu du 20e siècle, les salles d’armes du Musée national de Zurich ou du Musée d’art et d’histoire de Genève constituent encore indéniablement le point d’orgue de parcours permanents valorisant l’identité nationale. A Yverdon, la tour la plus imposante du château, « avec ses murs épais et ses poutres de chêne », représente une « véritable cheminée d’inspiration » qui appelle naturellement la création d’une salle d’armes, estime l’archéologue Michel Egloff.

Après des mois de travaux, l’espace est inauguré en grande pompe le 5 avril 1969 et présente des collections d’importance nationale, constituées d’armes blanches, d’armes à feu, des pièces d’artillerie, d’uniformes et de drapeaux. Y figurent les fleurons des collections du Musée du vieil Yverdon, comme des hallebardes du 16e siècle, un mousquet à mèche du début du 17e siècle ou un canon de fête du 19e siècle (Journal d’Yverdon, 18 avril 1969). À l’occasion de son ouverture au public, Michel Egloff dépeint avec lyrisme le nouvel agencement : « tout ce qui frappe, hache, taille, pourfend, perce, broie, tire, tonne, explose s’est donné rendez-vous dans un donjon chancelant, pour le plus grand bonheur des amateurs de sensations fortes, d’objets finement ciselés ou de plongée dans le passé » (Journal d’Yverdon, 5 avril 1969).

Muséologue éclairé, Michel Egloff estimait alors la durée de vie de la salle d’armes à une dizaine d’années, « avant que la remise en question des notions muséographiques » n’incite son « successeur à modifier la présentation des armes ». Cette installation sera toutefois appelée à perdurer de longues années. Plus de cinquante ans après son inauguration, les vitrines en chêne sombre, les moquettes usées et le gravier du diorama d’artilleurs évoquent un musée figé dans le temps. Des spécialistes de l’Institut suisse d’armes anciennes déploraient pourtant dès 1977 les piètres conditions de conservation d’un « local joliment disposé » mais caractérisé par des conditions de chauffage et d’humidité particulièrement inadéquates

La dépose de la centaine de pièces exposées dans la salle d’armes, dont certaines datent du 14e siècle, a nécessité les plus grandes précautions. Photographie documentaire, récolement sommaire des collections, dépoussiérage, conditionnement et déménagement dans les réserves du musée ont mobilisé toute l’équipe de conservation pendant quatre jours. Ce vaste chantier a également été l’occasion de démonter la collection de bicyclettes exposée au niveau intermédiaire du donjon, qui présente des conditions de conservation nuisibles à des objets en métal, bois, plastique et cuir. La prochaine étape du chantier s’attellera au démontage et au débarras des monumentales vitrines, avant d’entamer, à l’horizon 2024, le nouvel agencement du donjon, qui privilégiera l’histoire du bâtiment et de ses usages sociaux. À suivre !


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